Notre chère sœur Françoise-Thérèse s’est endormie sur le Cœur de Jésus ce matin 17 juin 1941 vers une heure et demie.
Frappée de congestion et de paralysie du côté droit, sœur Françoise-Thérèse resta immobile, semblant dormir depuis jeudi matin 12 juin, jusqu’à samedi vers 10 heures où le docteur lui ayant ouvert les yeux, elle sembla avoir pleine connaissance et sourit très visiblement en regardant notre Mère ; elle parut aussi reconnaître le docteur et retomba bientôt dans cette sorte de coma. Le soir, elle manifesta encore la connaissance qu’elle eut de monsieur l’Aumônier venant lui donner la sainte absolution. Sa Charité restait immobile, semblant parfois souffrir beaucoup sans pourtant s’agiter autrement que pour porter au menton la main gauche qui ordinairement tenait le crucifix ou égrenait le chapelet. Il est probable qu’elle entendait, mais sans pouvoir manifester autrement que par le mouvement peu compréhensible de la main.
Le 16 juin, vers 2 heures de l’après-midi, sa Charité commença à être plus oppressée et l’on put se rendre compte que la fin approchait. Vers minuit, le râle augmenta, mais peu après, notre chère mourante ouvrit les yeux, regarda fixement d’un regard très doux notre très honorée Mère, lui sourit, et jetant ensuite deux ou trois petits soupirs, elle expira ayant d’elle-même refermé complètement les yeux et pendant que notre bonne Mère lui disait simplement : « au revoir, au ciel… » Puis, au lieu du De profundis, ce fut le Magnificat qui jaillit des lèvres !
Deux sœurs tourières, Sœur Marie-Suzanne et sœur Marie-Berthe, novices du Carmel de Lisieux, arrivées la veille étaient présentes à son décès. Aussitôt que Mère Agnès avait eu connaissance de sa maladie, elle avait envoyé deux de ses anciennes tourières, Sœur Marie-Théophane et Sœur Marie-Germaine. Par permission spéciale sans précédent, comme sans suivant, le Carmel de Lisieux entrait en clôture à cause de la sœur de la Sainte !
Aussitôt les démarches ont été faites à la mairie et à la préfecture pour obtenir la permission d’inhumer notre chère relique vivante dans la crypte du monastère. Elle a été aimablement accordée. Notre Sœur reposera auprès de nos anciennes mères, jadis inhumées dans un caveau creusé devant l’autel de la crypte. Les précautions et les formalités d’usage accomplies sont un double cercueil, le premier en zinc est soudé et renferme à l’intérieur une plaque de 13 centimètres environ sur 18 de longueur sur laquelle est gravée en lettres d’un centimètre (les majuscules en proportion) :
Sœur Françoise-Thérèse
Léonie Martin
1863 – 1941
Notre chère sœur a été mise en bière jeudi, transportée au chœur où un défilé a commencé immédiatement, sitôt le châssis ouvert c’est-à-dire vers 4 heures. À partir de ce moment jusqu’à 8 heures du soir, 2 sœurs, parfois même 4 !, ont été sans cesse occupées à faire toucher des chapelets, croix, images, photos… des roses aussi dont tous les visiteurs sont avides. Triples reliques, touchant le crucifix de sainte Thérèse et le chapelet de sœur Marie du Sacré Cœur qui sont aux mains de notre chère Sœur.
Caen étant sous occupation allemande, tout rassemblement était alors interdit. C’est ainsi qu’un officier allemand et quelques soldats viennent voir quelle était toute cette agitation au monastère. Parmi les soldats, un aumônier militaire qui se mit à entonner le chapelet auprès de la dépouille de Léonie.
Le vendredi, fête du Sacré Cœur nous avons du fermer le châssis pendant la grand-messe du collège Sainte-Marie et pendant leurs Vêpres chantées, mais si c’est une interruption dans la vénération ce n’est pas une diminution, les gens attendent patiemment et malgré l’affluence, le silence est vraiment imposant !
Une foule qu’il est difficile d’évaluer, mais qui est certainement de plusieurs milliers de personnes de tous genres, continue d’affluer jusqu’à 8 h du soir pour recommencer le samedi matin. Il a été effectivement été possible de laisser le cercueil découvert jusqu’à 9 heures, l’office étant à 9 h 30.
Aucune trace de décomposition, mais un doux visage aux tons ivoirins qui nous permet de garder une très agréable impression de ces restes mortels apparentés à la sainte carmélite de Lisieux !
La Messe a été chantée par monseigneur Germain, directeur des pèlerinages de Lisieux, au milieu d’un nombreux clergé remplissant le sanctuaire. Aussitôt la sainte Messe achevée, le clergé, ayant en tête de procession les petits clercs de Sainte Thérèse de Lisieux, est entré en clôture et ces messieurs se sont massés autour du cercueil dans le haut du chœur tandis que la Communauté se tenait toute sur les marchepieds près des stalles des sœurs choristes.
Monseigneur Lemercère, grand vicaire, remplaçant monseigneur Picaud, malade et éloigné de Bayeux a donné l’absoute, assisté de Monseigneur des Hameaux, doyen de saint Étienne, notre paroisse, et monseigneur Adam, vicaire général, tous les deux revêtus de la manteletta insigne de leur dignité. Monseigneur Germain, revêtu de son aube était proche et une couronne d’une quinzaine de chanoines et d’autant de prêtres ou religieux en surplus.
À la suite de la Communauté, tous accompagnèrent la dépouille qu’ils honoraient. On descendit par l’escalier du saint Rosaire. Le caveau est creusé en travers de celui existant déjà. On a dû le faire en travers parce que l’on s’est trouvé ainsi entre deux masses de béton ancien, l’une faisant la clôture du pied du premier caveau et l’autre servant d’assise aux colonnes de soutien du plancher du chœur.
La dalle qui le recouvre est cependant mise dans le sens de la longueur sur le cercueil a d’abord été fixée une plaque semblable à celle mise dans l’intérieur, puis la terre, l’a recouvert, ensuite une couche de béton sur laquelle repose une dalle de marbre blanc. Elle est placée pour faire suite à celle qui recouvre nos Mères Marie-Thérèse de Vendes et Marie-Stéphanie Lejeune, entourée aussi d’un rang de pavés noirs et d’un rang de blancs.